Il est deux heures du matin, et Apsara, tiré par ses deux focs tangonnés, file à près de sept nœuds sous la lune, le pilote à la barre.
La main sur le palan d’écoute de grand voile, je regarde l’écume à l’étrave, quelques mètres devant moi, au bout du monde. Nous avons affalé la grand-voile cet après midi. Nous ne la rehisserrons pas avant plus d’une semaine: il y a plus de deux mille miles d’eau libre devant nous avant la Guyane. Deux mille miles au portant: nous sommes dans l’alizé.
Les anglais appellent cette bande de vents d’Est de part et d’autre de l’équateur (ou pour être parfaitement exact, de part et d’autre de la Zone de Convergente Intertropicale) « the trade winds », un terme bien utilitaire. Combien plus poétique, plus évocateur du bonheur de ces longues navigations au portant est le mot français. Je me le répète avec bonheur, nous sommes dans l’alizé….
Les quinzièmes ronronnants, comme j’aime à les appeler (même si, pour le moment, nous ne sommes que par 24 N) sont la garantie d’une navigation des plus agréable. La brise est tiède sur ma peau, les vagues qui poussent Apsara au surf sont longues et régulières, et même si certaines s’ornent d’une crête d’écume presque hargneuse, et que le loch monte brièvement à plus de dix nœuds, elles restent essentiellement amicales. Le courant est favorable.
Encore une de ces nuits de pleine lune au grand large qu’on ne peut raconter qu’aux étoiles
Un de ces bords de portant dans la brise qu’on ne partage qu’avec son bateau….
Et finalement, l’arrivée en Guyane